6 - Allocution de OU Chouchou : Mélodie culturelle du sentiment et de la vie

Réalisatrice de l’ethnie Dong, "Les Chants du coeur"
lundi 23 octobre 2017

Mesdames et Messieurs, Bonjour.

Je voudrais remercier le Festival du Cinéma Chinois de Paris, le CNC, et Madame Gao, la Présidente du Festival, pour cette opportunité de partager ici avec vous des histoires qui se sont passées dans les coulisses de notre film « Les Chants du cœur » et aussi celles qui se sont passées dans notre village.

J’ai grandi dans Qiandongnan de la province du Guizhou. C’est une province multiethnique, il y a 17 minorités ethniques vivant dans cette région. Ma ville natale, c’est la Préfecture autonome Miao et Dong de Qiandongnan, où la plupart de population est constituée de Miaos et de Dongs. Depuis mon enfance, la culture des Miaos et celle des Dongs ont de grandes influences sur moi.

Les Miaos et les Dongs n’ont pas de langue écrite. Les Miaos s’appuient principalement sur des images et des motifs sur des broderies, batiks et accessoires d’argent pour enregistrer leurs histoires, culture et migration. Pour les Dongs, qui ne possèdent pas d’écriture non plus, tout est transmis oralement. C’est ce qu’on peut entendre à travers les chants des Dongs qui ont une histoire plus de 2600 ans.

Aujourd’hui, je suis très émue d’être ici, puisque les chants des Dongs ont une relation particulièrement profonde avec la France. C’était en septembre 1986, au Festival d’Automne à Paris, pour la première fois, que les chants des Dongs sont sortis de Chine et ont été présentés dans le monde. Nous avions remporté la médaille d’or du Festival.

Avant cet événement, les pays occidentaux pensaient qu’il n’y avait pas en Chine de chant polyphonique, chant qui est sans chef de chœur et sans accompagnement instrumental. Mais cette présence surprise des chants des Dongs à Paris a modifié l’histoire de la musique vue par l’occident. On y indique maintenant que le chant polyphonique a été découvert en Chine, sans chef de chœur et sans accompagnement instrumental, et c’est les chants des Dongs.

Comme j’ai grandi dans cet environnement, baignée dans cette culture, et que tout est entré dans mon sang et mes os, après une formation au cinéma, une idée a surgit dans mon esprit, c’est de mettre sur le grand écran cette culture merveilleuse de notre ethnie.

Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier un de mes professeurs, qui est aussi présent à ce colloque, le réalisateur Monsieur Ning Jingwu. Pendant la préparation de mon premier film, je ne connaissais pas grande chose au cinéma. Donc j’ai demandé conseils auprès de Monsieur Ning, qui m’avait beaucoup encouragée et aidée. C’est ainsi que j’ai réalisé mon premier film « Anayi ». Plus tard, j’ai réalisé « Si près du Soleil », jusqu’à « Les Chants du cœur » d’aujourd’hui. C’est aussi la troisième fois que je participe au Festival du Cinéma Chinois de Paris.

Revenons sur la relation entre les Dongs et leurs chants. Il y a un dicton chez les Dongs : « Nourrir l’esprit avec les chants, nourrir le corps avec de l’alimentation. » Les chants ont une signification très importante dans la vie des Dongs, c’est-à-dire qu’ils peuvent se passer de manger, de dormir, mais ils ne peuvent pas cesser de chanter.

Les événements tels que la naissance, la vieillesse, la maladie, la mort, le mariage, les funérailles, tout est dans leurs chants, y compris leur respect envers la nature. Dans leurs chants, il y a beaucoup d’imitation du son de la nature, celui du vent, de l’eau, du chant des cigales et du coucou, etc. C’est vraiment merveilleux.

À propos de notre respect de la nature, j’ai beaucoup de petites histoires à partager avec vous.

Beaucoup de villages des Dongs ont des puits. Chaque matin, la première personne à chercher de l’eau au puits ne prend pas directement une gourde pour puiser de l’eau, mais elle cueille d’abord une herbe à côté du puits, en fait un noeud et puis la jette dans le puits. Ensuite elle commence à chanter, les paroles sont un peu-près celles-là : « Dieu du puits, Dieu du puits, ce n’est pas moi qui vous ai réveillé, c’est cette herbe. » Ensuite, elle commence à prendre de l’eau dans le puits, et la vie d’une journée au village commence ainsi.

Dans le but de bien réaliser le film « Les Chants du cœur », nous avons voyagé partout pendant quatre ans, presque dans tous les villages de Dongs dans la région de Qiandongnan. Nous avons rencontré et interviewé plus de 40 maîtres de chants, parmi lesquels certain nous ont déjà quittés maintenant. Nous avons recueilli plus de mille chants des Dongs, qui, avec leurs histoires, nous ont beaucoup émus et émerveillés. Par exemple, l’histoire d’amour que notre film a montrée, celle qui préserve l’amour pour son bien-aimé durant toute sa vie.

Les Dongs ont une constance dans l’amour : pendant toute leur vie, ils ne chantent une chanson d’amour que pour une seule personne, ils aiment une seule personne. Peut-être les autres ont l’impression que les Dongs sont entêtés et que ce genre d’amour est incroyable. Mais dans la vie des Dongs, c’est ainsi que l’amour est perçu, y compris leur passion pour les chants. Les chants des Dongs et leur vie sont étroitement liés.

Dans le film « Les Chants du cœur », il y a une scène où le village prend feu. Vous savez que dans beaucoup de région des ethnies minoritaires, notamment chez nous dans les villages des Dongs et des Miaos du Guizhou, les maisons sont en bois, c’est très facile de prendre feu. Je me souviens que quand nous sommes allés dans un village de Dong, un vieux maître de chants m’a raconté ce qu’il était arrivé dans les années 50.

Il y avait dans ce village 6 couples de jeunes hommes et jeunes femmes, ils étaient très beaux, très doués pour chanter. Un jour, ils font des chants alternés en dialogue entre fille et garçon dans une maison en bois. Après quelques jours et nuits, ils sont tous tellement préoccupés par leurs chants qu’ils ne remarquent pas l’incendie qui envahit le village. Ils perdent tous leur vie dans le feu.

Au début, je ne comprenais pas une telle obsession des chants. Et puis j’ai demandé à ce maître des chants s’il avait aussi participé à ce genre de chants alternés entre filles et garçons, et pourquoi ils ne s’étaient pas enfuis lors de l’incendie.

Il m’a raconté, qu’il avait aussi chanté comme eux, sans cesse, pendant plusieurs jours et nuits, jusqu’à l’oubli de soi-même. « On ne dormait ni ne mangeait comme les gens normaux, juste quelques gorgées d’eau et des patates douces rôties ».

Quand ils atteignent un état obsessionnel et un état d’esprit supérieur, en plus sans repas ni repos pendant quelques jours, leur corps devient très faible mais ils peuvent encore chanter. En conséquence, ces jeunes, dans notre histoire, n’avaient absolument pas la force de fuir l’incendie. Même s’ils ont eu envie de bouger, leurs corps ne suivaient pas. Ils n’avaient pas assez de force pour fuir l’incendie.

Le maître conclut : « Nous, les Dongs, avons vraiment la passion de chanter. »

Pendant nos recherches de chants folkloriques dans les villages des Dongs ces dernières années, nous avons pu recueillir beaucoup de belles chansons et d’histoires émouvantes. Nous avons même rencontré un maître de chants qui a plus de 90 ans.
Les Dongs sont très originaux : les jeunes cherchent leur amour en groupe. C’est-à-dire que tous les ans, après la saison de la moisson et, avant le nouvel an ou avant les labours et le hersage du printemps, nous avons une fête qui s’appelle « Wei-ye » en Dong, en chinois cela veut dire « Manger de l’amour ».

Beaucoup de gens disent que les Dongs sont vraiment très romantiques, puisque pour eux, l’amour est « mangeable ». En fait, cette fête est une coutume des Dongs : ce sont les personnes âgées du village qui créent cette opportunité pour que les jeunes puissent se rencontrer pour trouver leur amour. C’est un peu comme former une alliance.

Tous les villageois, les jeunes, les personnes âgées, hommes, femmes, partent tous de leur village, invités dans un village voisin. Ils y partent pour quelques jours. Les personnes âgées parlent du bon vieux temps, bavardent, chantent et boivent ensemble, alors que les jeunes se rassemblent et chantent au clair de lune. Ils chantent en alternance entre filles et garçons dans les maisons de bois. C’est une activité collective :

Par exemple, cinq garçons de notre village et cinq filles de votre village commencent à chanter en alternance des chansons d’amour la nuit au clair de lune. Si chacun réussit à trouver son bien-aimé ou sa bien-aimée, on fixera une date dans l’année suivante pour une noce collective.

Les filles tombent toutes enceintes le même jour ou presque, puis elles accouchent de leurs bébés en même temps.

Ce qui est le plus extraordinaire, c’est que l’éducation prénatale commence plus tôt chez les Dongs que dans le reste du monde : l’embryon est encore dans le ventre de la maman quand il commence à apprendre à chanter.

Si la maman chante la partie de la chanson d’une voix aiguë, le bébé chantera sûrement dans le même registre ; si la maman chante dans la partie de la chanson d’une voix basse, son bébé chantera sûrement aussi la voix basse.

Donc les bébés sont nés presque en même temps, ils grandissent ensemble et forment des petits groupes de chants. Pour les Dongs, leur chant est leur vie et leur âme. Après la nuit tombée, les enfants vont apprendre les chants chez le maître portant une petite lanterne et un petit tabouret. Les filles vont chez une maîtresse et les garçons chez un maître.

Le village est parsemé de lumières quand les enfants cheminent pour aller au cours. C’est une scène très touchante et belle.

Ce que j’ai partagé avec vous, c’est l’histoire des Dongs et de leurs chants. Les chants sont leur vie et leur âme. Quand nous sommes allés rencontrer le maître de chants de 90 ans dont je vous ai parlé, il était en train de bavarder avec des amis avec lesquels il avait « mangé de l’amour » ensemble dans sa jeunesse. Ils ont partagé leurs histoires : chanter au claire de lune et grimper sur le rebord des fenêtres avec des échelles pour voir leurs amoureuses.

Les Dongs prennent la vie et la mort d’une façon plutôt légère, ils font face à la mort avec un esprit ouvert, ils n’en ont pas peur.

Le vieux maître a chanté une chanson dont les paroles sont les suivantes :
« J’aime bien chanter mais je suis maintenant âgé et ma santé est détériorée. Je passerai bientôt dans l’autre monde. J’espère que je ne vous manquerai pas, ne soyez pas tristes. Je continuerai à chanter dans l’autre monde. Je ne serai pas seul, je n’aurai pas peur, puisque les chants m’accompagneront. Un jour quand vous viendrez aussi, nous pourrons chanter ensemble à nouveau. »

Je vous ai fait partager aujourd’hui des histoires sur les Dongs, ainsi que sur les chants des Dongs. Chaque fois quand je suis allée dans des villages de Dong, j’ai parlé avec des maîtres de chants et des villageois, j’ai entendu raconter leurs histoires à travers les chants, leur obsession et leur passion pour les chants. Ces visites m’ont été toujours très fructueuses.

En fait, j’ai encore beaucoup d’histoires à partager avec vous, mais, aujourd’hui, le temps est limité, donc je partage juste un peu d’histoires avec vous et je continuerai à vous les raconter à une prochaine occasion.

Je vais continuer à faire de beaux films ethniques et j’espère y trouver des points communs.

En fait, les éléments de valeurs des ethnies minoritaire tels que les émotions, les idées sur l’amour, « la vérité, la bonté et la beauté » de l’être humain, ont tous un caractère commun. Je vais continuer mes efforts pour faire de bons films.

Merci à tous.


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