Années 1950-60
Les minorités ethniques, leur environnement et leurs pratiques culturelles, sont essentiellement apparues sur le grand écran au cours des années 1950, alors que le PCC mettait en place sa politique ethnique (minzu zhengce).
Il existe une petite poignée de films sur les minorités ethniques avant 1949, notamment Tempête à la frontière 塞上风云de Ying Yunwen, qui met en scène la fameuse actrice Li Lili dans le rôle d’une jeune Mongole qui lutte aux côtés des Han contre l’invasion japonaise. Mais c’est une production très marginale et une part non significative dans l’industrie pré1949.
A partir des années 1950, en revanche, et jusqu’au milieu des années 1960, une cinquantaine de films mettent en avant des décors, des personnages et des sociétés non-han. Cette production atteint un pic en 1959, lorsque la République populaire de Chine fête sa première décennie ; et à nouveau en 1964, pour son 15ème anniversaire. Les films sur les minorités ethniques constituent ainsi, du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, 6% de la production cinématographique chinoise, un chiffre non négligeable pour un style nouveau.
Une partie de ces films mettant en scène des personnages non-han se rattachent aux « films de guerre » ou aux films « d’espionnage », un genre qui met en avant la solidarité entre les peuples dans la lutte contre le Japon et les Nationalistes. La victoire du peuple de Mongolie Intérieure 内蒙 古人民的胜利, de Gan Xuewei, tourné en 1950, relate les combats qui ont opposé représentants du Parti Communiste aux alliés du Guomindang, et la libération des peuples nomades mongols du joug nationaliste par les Communistes.
En 1955, Mystérieux compagnons de voyage 神秘的旅伴 de Lin Nong, met en scène la lutte commune des Yi et des Han, dans les régions périphériques du sud-ouest de la Chine, contre les espions à la solde des Nationalistes.
Dans Les visiteurs de la montagne glacée 冰山上的来客, dont l’action au située au Xinjiang, donc aux frontières nord-ouest, les Tadjiks et les Han s’allient pour démasquer les espions et détourner les plans maléfiques des Nationalistes.
Enfin, le fameux film Le serf 农奴de Li Jun, sur la libération des serfs tibétains, insiste sur la solidarité des Tibétains qui lutte, avec l’Armée populaire de libération, contre les propriétaires terriens, alliés des capitalistes et des nationalistes.
Les films mettent donc souvent l’accent sur la solidarité et l’unité des peuples han et non-han, assimilés à une grande famille, dans laquelle le Han représente généralement le « grand frère » et le non-Han le « petit frère ».
Un autre genre cinématographique qui intègre le sujet non-han sont les films musicaux ou 歌 唱片 gechangpian. Ce sont en général des films particulièrement réussis dont le succès perdure.
Pensez à Ashima 阿诗玛 réalisé par Liu Qiong en 1964, qui se base sur une légende des Sani, ou Yi du Yunnan. Ou à La troisième sœur Liu 刘三姐de Su Li (1960), adaptation d’une ballade des Zhuang et Les cinq fleurs dorées 五朵金花 (1959) de Wang Jiayi, chez les Bai du Yunnan.
Ces films intègrent certes des thématiques chères au cinéma socialiste, comme la lutte des classes, mais offrent aussi une large place aux romances vécues par les personnages, aux scènes chantées, aux paysages bucoliques, aux particularismes culturels locaux comme des compétitions sportives, des instruments de musique indigènes etc. Le ton politique des films, inévitable à cette période, est affaibli ou amoindri par les qualités narratives, techniques et esthétiques de ces films.
Car en effet, ce sont des chefs d’œuvre artistiques qui constituent des références du cinéma socialiste et sont devenus incontournables dans le cinéma chinois en général. L’histoire de La troisième sœur Liu, par exemple, continue d’être racontée sur la base du film dans un grand spectacle donné dans la région du Guangxi et dirigé par le fameux réalisateur Zhang Yimou. Un autre réalisateur, Zhu Feng, en a aussi tiré un film, A la recherche de Liu Sanjie 寻找刘三 姐 (2009), qui est une sorte d’adaptation contemporaine du film des années 1960. D’autres films ont été récemment adaptés en séries télévisées : c’est de la cas des Les visiteurs de la montagne glacée, mais aussi de La caravane 山间铃响马帮来, un film de 1954 par Wang Weiyi tourné dans la région de Yunnan, sur des patrouilles mises en place par l’APL pour protéger les frontières des ennemis nationalistes qui tentent de voler les provisions des villageois hani et miao.
Dans ces films de la période maoïste, ce sont bien souvent les Han qui sont derrière et devant la caméra. Comme dans de nombreuses productions culturelles sur les non-Han de l’époque, et encore aujourd’hui dans une certaine mesure, c’est l’habit qui fait la minorité ethnique : la majorité des acteurs, comme des équipes de production et les réalisateurs, sont Han. C’est ainsi que l’actrice Yang Likun tient les rôles principaux dans Ashima et Les cinq fleurs dorées, prêtant son visage respectivement aux ethnies yi et bai. C’est moins le cas dans les films situés au Xinjiang, où les populations locales ont des caractéristiques physiques plus marquées ou plus distinctes des Han.
Les films sont tournés dans la langue nationale, le putonghua (mandarin) et de manière générale soutiennent la politique de nationalisation du Parti au pouvoir. Ils visent un public à la fois han et non-han, encouragent les contacts entre eux et la mise en place d’une société multiethnique, multiculturelle rassemblée sous un projet politique commun : la construction du socialisme. Ce qui n’empêche pas un travail simultané plus ethnographique, qui offre une place inédite aux minorités ethniques et à leurs pratiques culturelles dans la production audiovisuelle chinoise à l’échelle
nationale. Ces films replacent, en outre, une partie de populations périphériques au centre de la définition de la population chinoise, leur permettant une représentation visuelle et physique dans un contexte cinématographique (et politique) qui les avait jusque là marginalisées ou omises.
Années 1980-90
Les réformes d’ouverture des années 1980 et 1990 permettent un certain renouveau des films sur les minorités ethniques, avec l’introduction de nouveaux thèmes d’une part, et d’autre part l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs, dont des réalisateurs non-han, comme Mai Lisi (qui est parmi nous aujourd’hui). Une grande partie des films continuent de soutenir la vision d’une société chinoise harmonieuse et de l’unité nationale. Ainsi, les minorités ethniques restent un thème privilégié par les films « leitmotiv » ou zhuxuanlupian 主旋律片, ou encore films à caractère patriotique et éducatif.
Mais ce n’est pas le cas de tous les films sur les minorités ethniques. Les films sur les minorités ethniques ne sont plus, à partir de des années 1980, uniquement un genre cinématographique politique, un genre sponsorisé et développé par l’Etat. C’est un genre beaucoup plus éclaté que dans les années 1950 et 1960, qui inclut également des films d’art et des films commerciaux.
Ces films s’attachent souvent à alimenter avant tout le débat sur la « culture nationale » chinoise, à repenser la définition de la Chine à l’aune de ses frontières. Ainsi, Ode à la jeunesse 青春祭 (1985) de Zhang Nuanxin relate la découverte par une jeune fille han de son corps et de la sexualité au sein d’une communauté dai dans le Yunnan. Les œuvres de Tian Zhuangzhuang, Terrain de chasse 猎场 扎撒 (1985) et Le voleur de chevaux 盗马贼 (1986), portent une attention particulière aux pratiques religieuses et sociales des Mongols pour le premier film, et des Tibétains pour le second.
Les films sur les minorités ethniques, sous le regard de Tian Zhuangzhuang et de Zhang Nuanxin, deviennent donc des espaces de distanciation et de réflexion vis-à-vis de la société han, interrogeant les fondements culturels de la nation chinoise.
D’autres films nous plongent dans l’histoire des minorités ethniques, valorisant leurs cultures et leur histoire, notamment à travers des récits de grands personnages historiques ou mythiques. C’est le cas par exemple de Amannisahan 阿曼尼萨罕de Wang Xingjun (1993), dont le titre est tiré du nom d’une célèbre femme ouïghour éduquée aux arts de la musique au cours du 16ème siècle et qui a dévoué sa vie à la collecte et à la promotion de la musique ouïghour.
De même, Genghis Khan 一代天桥成吉思汗de Saifu et Mailisi (1997) retrace le destin du célèbre conquérant mongol. L’originalité du film tient dans l’emphase portée sur l’enfance de Genghis Khan et sa relation avec sa mère. Le film a été couronné de succès, remportant le fameux Coq d’Or en 1997 pour sa réalisation. Ce qu’il faut retenir aussi, c’est l’identité mongole de Saifu et Mailisi, qui s’inscrivent dans une nouvelle tendance en Chine dans les année 1990 : la participation active et
autonome de réalisateurs non-han dans la production de films sur les minorités ethniques.
Plus rares sont les œuvres comme L’étalon noir 黑骏马, adapté du roman éponyme de Zhang Chengzhi qui date de 1982. Le film a été réalisé par Xie Fei en 1995. On trouve aussi le film sous le titre A mongolian tale ou 愛在草原的天空. Le film relate les amours contrariés de deux jeunes Mongols, l’un devenu chanteur en ville et l’autre simple bergère des steppes, qui se séparent et se retrouvent au gré des années. Le film, construit avec une grande sensibilité, un peu comme un poème, est l’un des rares films de l’époque tourné en langue mongole. Le film a reçu plusieurs prix dans des festivals internationaux. Le film, qui a toutefois valu de nombreuses critiques au réalisateur pour son image non conventionnelle des nomades mongols, reste à mon avis l’un des films sur les minorités ethniques les plus aboutis et les plus réussis des années 1990.
Années 2000-10
Les années 2000 témoignent d’un véritable regain d’intérêt pour la thématique des minorités ethniques dans le cinéma chinois.
En dehors de la restauration et de la revalorisation de films des années 1950 et 1960, plus de 50 films sur les minorités ethniques sont produits dans la première moitié des années 2000, soit à peu près autant que pendant la période maoïste.
Au cours des 10 dernières années, la production de films sur les minorités ethniques chinoises n’a cessé de croître.
Dans une Chine de plus en plus globale, le regain d’intérêt pour les coutumes et histoires locales placent les minorités ethniques au centre d’un mouvement littéraire et artistique particulièrement dynamique depuis la fin des années 1990 ; mouvement qui cherche à mieux comprendre les racines d’une Chine multiculturelles, multiethnique, et en même temps à saisir et à mettre à jour l’universel dans les particularités ethniques.
C’est un cinéma qui replace les minorités ethniques au cœur de l’histoire, réaliste ou en tout cas fort conscient des réalités sociales et culturelle locales, souvent proche du documentaire, souvent réalisé avec des acteurs locaux, en langue locale. Ce fort accent local est souvent contrebalancé par des histoires à portée universelle, dans lesquelles peuvent se reconnaître des spectateurs d’horizons variés : les questions environnementales, la lutte pour la préservation des identités culturelles, les antagonismes entre traditions et modernisation, la critique de la société de consommation etc.
Cette revitalisation du cinéma ethnique en Chine s’accompagne d’un soutien politique fort confirmé par la mise en place, en 2013, d’un plan de développement des films sur les minorités ethniques 中 国少数民族电影工程, plan porté par la Commission étatique des affaires ethniques 国家民族事务 委员会.
Ce soutien vise à encourager la production et la diffusion de films sur les minorités ethniques, notamment dans la perspective du développement de l’industrie cinématographique chinoise dans un espace mondial de plus en plus compétitif. Les films situés au cœur des splendides rizières du Yunnan, des déserts infinis de Mongolie et les plateaux fascinants du Tibet suscitent l’intérêt d’audiences variées d’une part, et contribuent souvent à promouvoir le tourisme local d’autre part.
Cette fascination pour les périphéries chinoises est d’ailleurs partagée par les réalisateurs domestiques et internationaux, comme le montrent les production franco-chinoises récentes : Le promeneur d’oiseau de P. Muyl ou Le dernier loup de JJ Annaud.
La conjonction de ces divers intérêts et du soutien institutionnel a abouti à la création d’un festival de cinéma sur les minorités ethniques en 2010, aujourd’hui intégré au Festival International du Film de Beijing. Chaque année, le festival présente et assure la promotion des dizaines de films sur les minorités ethniques, et encourage la production de nouveaux films.
Les acteurs de cette production contemporaine toujours plus large et toujours plus dynamique sont aussi variés que les thématiques abordées et que les styles et les tons adoptés. Fictions romantiques, à tonalité fantastique ou semi-documentaire ; films historiques ou à visée ethnographique ; épopées ou mélodrames ; courts ou longs métrages ; produits par des studios d’État ou par de petites sociétés de production privées ; réalisés par des Han ou par des non-Han ; films d’auteur, de propagande ou commerciaux ; films à succès et films plus discrets ; film en langue chinoise standard ou en langue minoritaire… on trouve absolument de tout, pour tous les goûts, et sur presque toutes les minorités ethniques.
Le programme du festival vous offre ainsi un échantillon d’une production d’une grande richesse et d’un grand intérêt aussi pour comprendre la Chine aujourd’hui, dans toute sa complexité et toute sa diversité.
Des plaines mongols, au plateau tibétain ou aux montagnes du Yunnan, vous verrez des films produits par des réalisateurs parmi les plus talentueux du cinéma chinois actuel ; et par des réalisatrices les plus talentueuses aussi, car le cinéma sur les minorités ethniques s’est largement démocratisé non seulement en incluant de nombreux réalisateurs et acteurs non-han extrêmement compétents, comme Pema Tseden, que j’aime beaucoup ; mais aussi de grandes réalisatrices comme Mailisi ou Ou Chouchou.
Je m’arrête ici car vous aurez un bien meilleur aperçu du cinéma actuel en écoutant des réalisateurs de renom vous parler de leur travail, et en portant à leurs films tout l’intérêt qu’ils méritent.