3 - Première rétrospective de Wang Xiaoshuai

dimanche 24 juin 2012 par Raymond Delambre

Outre les films que nous présentons à titre de rétrospective, en particulier le chef-d’œuvre So Close to Paradise, Wang Xiaoshuai écrivit et réalisa Dongchun De Rizi en 1993, mettant en scène le sort funeste du peintre pékinois Liu Xiaodong. La BBC désigna ce premier long métrage comme l’un des cent meilleurs films dans l’histoire du cinéma, voire le seul en langue chinoise. Le réalisateur continua à se soucier de sujets dramatiques, sinon tragiques, avec Da Youxi de 1994 et surtout Gel terminé en 1997. Menghuan Tianyuan, Site rêvé de 2000, Er Di, Drifters en 2003, Rizhao Chongqing de 2010 avec Fan Bingbing complètent la filmographie.

Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, Wang Xiaoshuai naquit le 22 mai 1966 à Shanghai, qu’il connut cependant peu. Dès l’été, marqué par le sceau et le fer rouges de la Révolution culturelle, on déplaça le bébé et sa famille à Guiyang, petite ville dans les montagnes. Le garçon y habita jusqu’à l’âge de treize ans et préférait peindre des bateaux et avions plutôt que des paysages.

La biographie influence le réalisateur de Shanghai Dreams : comme
la famille du personnage Qing Hong, ex-shanghaïenne, les Wang durent vivre dans la région de Guizhou. On y déplaça dans les années 60 l’usine où travaillait la mère de Xiaoshuai. De même, Wang Han, joué par Liu Wenqing dans Onze fleurs, ne porte sans doute pas par hasard un nom semblable à celui de Xiaoshuai :
Han se débat dans le même contexte, précisément à Guiyang.

En 1979, le garçonnet et sa famille déménagèrent à Wuhan, ville populeuse et de passage, peuplée de nombreux migrants. Xiaoshuai n’y resta que deux années, mais à un âge crucial : cette expérience l’impressionna. Au demeurant, l’innocent Dong Zi de So Close to Paradise effectue son apprentissage dans un milieu urbain empreint de dureté.

Xiaoshuai s’inscrivit, à l’âge de quinze ans, au collège pékinois relié à l’école des Beaux-Arts pour étudier la peinture. Or, le coursier filmé enfourche La bicyclette de Beijing à seize ans. En 1981, Wang Xiaoshuai intégra le lycée lié à l’école des Beaux-Arts. Mais sa vocation de peintre s’évanouit pendant les quatre années d’études. Après l’obtention du diplôme en 1985, le lauréat se réorienta, continuant son cursus à l’Académie du cinéma de Beijing, dans la spécialité mise en scène.

Cependant, l’orientation picturale initiale retentira sur le futur cinéaste. Son premier film se situe dans l’intimité d’un peintre. Par la suite, Gel traite d’un artiste contemporain, l’anticonformiste Qi Lei. Dans Onze fleurs, le père du protagoniste cultive l’art.

Surtout, la picturalité inspire Wang Xiaoshuai pour son chef-d’œuvre,
So Close to Paradise, variations sur les ombres et lumière, que nous découvrîmes dès 1999. Plan sublime : lorsque la femme fatale disparaît dans la pénombre, mise en abyme du genre film noir. De façon plus générale, l’art du cadrage rend signifiant

L’ensemble des œuvres.

La composition scénographique importe, se cristallisant dans des configurations picturales : La bicyclette de Beijing l’illustre.
Aussi acteur occasionnel, par exemple dans Shi Jie de Jia Zhang Ke, notre cinéaste œuvre encore volontiers comme scénariste. La façon même dont celui-ci filme dénote le retentissement de l’encre sur l’écran : la narration ne se trouve pas reléguée au second plan.

Dans une histoire aussi minimaliste que Zuo You, Une famille chinoise, le scénario prépare méticuleusement la décomposition d’Une famille chinoise : scènes emblématiques où le téléphone portable trahit les agissements maternels, voire l’adultère. Assurément, l’écriture cinématographique de Wang Xiaoshuai s’imprègne de modernité, déjà par les thèmes et ton choisis, toujours graves, sinon pessimistes, conjointement à sa mise en scène sobre. Le réalisateur tend à enregistrer les sites cinématographiés,
qu’il s’agisse de la campagne ou du milieu urbain : Une famille chinoise, La bicyclette de Beijing, Onze fleurs, où de la si cruciale Révolution culturelle appartenant cependant au hors-champ, pratique ce style que nous baptiserons néo-documentaire.

Souvent proches du mélodrame, les films conjurent le mélodramatique larmoyant en rejetant délibérément le pathos, sinon l’empathie, et en adoptant une vision volontiers documentariste, à l’instar de Zuo You, Une famille chinoise. « Ce n’est pas l’aspect sentimental de ces histoires qui m’attire, mais leur côté sombre », dixit Wang Xiaoshuai.

Un certain matérialisme, à la fois thématique et critique, éloigne du
sentimentalisme. La bicyclette de Beijing, érigée en icône, véhicule un bagage lourdement lesté de considérations économiques : le coursier gagne seulement 10 yuans par course, indépendamment du trajet parcouru. La bicyclette, chromée, arbore la couleur de l’argent. La retenue s’élève à 50 % du salaire jusqu’au paiement de 600 yuans pour l’acquisition du véhicule. Les valeurs symboliques attribuées au cycle divergent en fonction de leurs possesseurs, qui s’en disputent la propriété, voire s’entre-déchirent : pour l’un, paysan, le véhicule constitue à la fois son outil de travail et son passeport intérieur pour la ville. Pour l’autre, l’objet de consommation satisfait son désir de paraître.

Quant à Onze fleurs, le scénario focalise sur un autre objet. Une chemise se revêtira de significations multiples, voire opposées : fierté du fils, sacrifice pour la famille, bandage du fugitif. On se battra aussi pour…

Dans So Close to Paradise, le gentil coolie n’arbore même pas de ceinture alors que son mentor dispose d’un ceinturon comme d’une arme sanglante et fatale.

La carrière de Wang Xiaoshuai infirme les dichotomies habituelles entre présumées générations de réalisateurs. Des thèmes traités par Zhang Yimou et Chen Kaige, telle la relégation en province, et la littérature des sacrifices se retrouvent chez Wang Xiaoshuai.

Raymond Delambre, auteur d’Ombres électriques : les cinémas chinois (collection Septième Art, Le Cerf & Corlet)


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