15 - TE Wei et les films d’art de Shanghai

personnalité du cinéma d’animation
jeudi 18 juin 2009

Âgé aujourd’hui de 94 ans, TE Wei est une légende vivante. S’il est vrai qu’en France le grand public ne le connaît qu’à travers deux de ses chefs d’œuvre, diffusés dans les salles de cinéma et édités en DVD, en réalité il y a plus de vingt ans que les professionnels du monde entier admirent l’originalité et le très haut niveau artistique des films de cet immense personnalité du cinéma d’animation. Au cours de sa longue carrière, TE Wei a obtenu de nombreux prix en Chine et à l’étranger, dont le plus prestigieux est celui de l’ASIFA reçu, en mai 1995 à Annecy, des mains du Français Michel Ocelot. En 2005, les Studios d’art de Shanghai l’ont officiellement honoré pour son 90e anniversaire et un double DVD a été gravé pour lui rendre hommage.

Te Wei a surmonté les tribulations de sa longue existence grâce à une force de caractère peu commune. Pour lui, la période de la guerre anti-japonaise a été particulièrement riche en événements dramatiques, mais ce sont sans doute les critiques dont il a été l’objet à partir de 1964 et tout au long de la révolution culturelle qui l’ont affecté le plus. Pourtant le passé ne lui laisse ni rancœur, ni
regret. Malgré son grand âge et sa santé fragile, il est toujours d’humeur plaisante. C’est un bon vivant : il aime sortir au restaurant avec des amis. Non seulement il a un bon coup de fourchette, mais c’est aussi un fin gourmet. Sur ce plan, il ressemble au grand animateur français Paul Grimault, réalisateur du Roi et l’oiseau qu’il avait rencontré à Paris en 1985, et avec lequel il se sentait beaucoup
d’affinités.

Lui-même peintre et caricaturiste (ses œuvres se trouvent dans les revues de caricature de Shanghai à partir de 1935), TE Wei est à la tête du cinéma chinois d’animation de la Nouvelle Chine dès 1949. En 1957 les trois départements attachés aux Studios cinématographiques de Shanghai : dessin animé, découpages articulés et poupées deviennent les Studios d’art de Shanghai,
désormais entité indépendante dont le nom est révélateur de l’importance des critères artistiques pour les animateurs. TE Wei est directeur des Studios jusqu’en 1985 (les studios ne produisent rein entre 1967 et 1972 et fonctionnent au ralenti jusqu’en 1976), puis il y occupe la fonction de conseiller jusqu’en 1989.

Dans les années 1950, c’est sous son impulsion que le cinéma chinois d’animation entreprend de se dégager des modèles venus de l’étranger pour développer ce qu’on appelle alors le « style national ». En français cette expression peut être mal comprise. En réalité, il ne s’agit aucunement de propagande nationaliste, c’est seulement l’affirmation de la volonté des animateurs de s’inspirer des arts traditionnels chinois afin de créer des styles d’animation originaux propres à leur pays. Leurs sources d’inspiration sont multiples : d’abord le théâtre chanté (l’opéra) avec ses nombreuses variantes locales, ainsi que le théâtre d’ombres chinoises et de marionnettes. Ensuite les arts du lettré : calligraphie et peinture. Enfin toutes les formes d’art populaire et d’art décoratif : les bandes dessinées, les papiers découpés, les papiers pliés, les estampes, les jouets populaires, les broderies etc…

Les films chinois d’animation se donnent pour mission d’ éduquer les enfants, tout en les divertissant. Autrement dit, ils doivent contribuer à développer leurs connaissance artistiques et leur sens esthétique ... Pour être capables d’ adapter les arts traditionnels il faut que les animateurs soient eux-mêmes des artistes et en effet la plupart d’entre eux ont reçu ce type de formation. Ainsi l’ambition d’atteindre un niveau artistique élevé est devenu une caractéristique importante de l’animation chinoise.

Parmi les réussites les plus exceptionnelles des studios d’art de Shanghai, il faut citer l’animation de la peinture traditionnelle, à l’encre de Chine rehaussée de couleur. A la fin des années 1950, dans une extraordinaire atmosphère d’émulation et d’enthousiasme, TE Wei met au point, en collaboration avec QIAN Jiajun, Ah Da, DUAN Xiaoxuan, TANG Cheng et beaucoup d’autres... un genre de film tout à fait original : le« lavis animé » qui parvient à animer l’œuvre du grand peintre QI Baishi (Les Têtards à la recherche de leur maman, 1960). A priori, filmer -image par image- la peinture chinoise semble un pari impossible car tandis que l’encre n’imbibe jamais de la même façon le papier en fibre de mûrier, jamais le pinceau dans la main du peintre ne refait deux fois un trait identique. On n’a pas fini de s’interroger sur les prouesses artistiques et techniques qui ont permis de réaliser les « lavis animés », mais c’est un secret jalousement gardé !

Aujourd’hui, en Occident, très peu de gens connaissent les Studios d’art de Shanghai et les chefs d’œuvre qu’ils ont produits en plus d’un demi siècle d’activité. En France, nous pouvons nous estimer privilégiés à cet égard puisque, dès le début des années 80, nous avons pu voir en version doublée, Le Roi des singes de WAN Laiming, film culte qui a longtemps incarné à lui tout seul l’idée que nous nous faisions du cinéma chinois d’animation. Ensuite, il a fallu attendre plus de dix ans pour que le chef d’œuvre de WANG Shuchen
Le Prince Nezha paraisse à son tour sur nos écrans, puis plus rien. Ce n’est qu’en 2004, grâce aux Films du Paradoxe, que le public français a enfin pu découvrir quelques joyaux de l’animation chinoise qui jusque là n’avaient été vus que dans de rares festivals. Une série de courts métrages ont été regroupés en deux programmes, diffusés dans les salles« art et essai » dans toute la France. C’est un très grand succès et aujourd’hui les noms de quelques uns des meilleurs animateurs chinois, TE Wei en tête, sont enfin reconnus par le public français qui a découvert avec émerveillement que les films d’animation chinois pouvaient être une initiation aux arts fascinants de
la calligraphie et de la peinture. Récemment un autre distributeur Les Films du préau a acquis les droits de six autres cours métrages qui seront diffusés fin 2009. Souhaitons que ces tentatives fassent des émules car beaucoup d’autres chefs d’œuvre restent à découvrir pour le plus grand plaisir des spectateurs, petits et grands ...

Marie-Claire Kuo Quiquemelle.


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