Les Anges du boulevard

dimanche 8 août 2010 par Raymond Delambre

Zhou Xuan par Raymond Delambre, auteur d’Ombres électriques : les cinémas chinois (collection Septième Art, Le Cerf & Corlet)

马路天使
Les Anges du boulevard
Ma Lu Tian Shi
Scénario et réalisation : YUAN Mu Zhi ; chef-opérateur : WU Yinxian ; parolier : TIAN Han ; montage : QIAN Xiaozhang ; décor : MA Shouhong.
Avec : ZHOU Xuan (Xiao Hong), ZHAO Dan (CHEN Xiao Ping), ZHAO Huishen (Xiao Yun), WEI Heling (Le vendeur de journaux), WANG Jiting (WANG, le violoniste « père » de Xiao Hong), FENG Zhicheng (M. KOU), QIAN Qianli (Le coiffeur), TANG Chaofu (Le patron coiffeur), SHEN Jun (Le vendeur de fruits), QIU Yuanyuan (Le chômeur bègue)
Shanghai, 1937
Compagnie cinématographique Mingxing
74 min
Genre : comédie dramatique
編劇, 導演, 袁牧之 ; 攝影, 吳印咸.
周璇 (飾小歌女-小紅), 趙丹 (飾吹鼓手-小趙), 魏鶴齡 (飾報販-老王), 王吉亭 (飾琴師), 馮志成 (飾流氓-古先生), 陳毅亭 (飾寄生蟲), 錢千里 (飾剃頭司務), 唐巢父 (飾剃頭店老板), 沈駿 (飾小販), 裘元元 (飾失業者), 袁梅紹 (飾小孤孀), 趙慧深 (飾野雞-小芸), 柳金玉 (飾鴇母), 孫敬 (飾律師), 韓雲 (飾警察)

Shanghai, automne 1935. Xiao Hong et sa sœur Xiao Yun habitent dans les bas-fonds de Shanghai, après leur fuite face à l’invasion japonaise. Yun, battue par sa marâtre proxénète et subissant les préjugés méprisants de CHEN Xiao Ping, se prostitue pour leur survie ; Hong, toute jeune femme espiègle aimée de son voisin trompettiste Xiao Ping, vit de ses chants, jusqu’au jour où son « tuteur » musicien tente de la vendre à un malfaiteur concupiscent. Grâce aux coupures de presse dont Lao WANG tapisse les murs de leur taudis et indiquant le procès d’une fille adoptive versus une proxénète, Xiao Ping et son compagnon le vendeur de journaux décident de consulter un avocat : l’annonce de Maître FANG s’accroche aux longs cheveux de Xiao Ping, s’asseyant contre la paroi, accablé de ne pas savoir comment mener un procès. Mais les amis abandonnent la piste judiciaire, ne pouvant payer. Ensuite, Lao WANG arrache l’idée de fuite au mur recouvert de feuilles. Xiao Hong, rétive en réaction à ses nombreuses disputes avec Xiao Ping, se laisse finalement persuadée de fuir en compagnie de celui-ci et son « armée », le colporteur, un coiffeur, A Ping le vendeur de fruits, un chômeur bègue : l’aînée Yun, s’interposant entre sa cadette et son amoureux, l’incite à se sauver avec celui-ci, alors que Xiao Hong continuait de le bouder. Au demeurant, sacrifice d’autant plus important que la prostituée aime Xiao Ping. Hélas, les malfaiteurs poursuivent et retrouvent les deux sœurs… Le « père » trouve l’adresse des fugitifs : Xiao Yun lance un long couteau vers celui-ci et qui se plante dans la paroi. Le « tuteur » poignarde « sa fille » et ex-concubine, qui mourra sans soins : Lao WANG, épris de Yun, cherchera à la sauver et reviendra bredouille, le médecin ne venant pas sans paiement suffisant. La prostituée expire entre les bras de Xiao Ping, pensant à son mépris, le film montrant plusieurs flash-backs en surimpression…

Ce classique propulsa la carrière cinématographique de ZHOU Xuan, qui y interprète deux titres mythiques : Tian Ya Ge Nü, 天涯歌女 que nous traduirons poétiquement par La Chanteuse des confins du ciel, et Si Ji Ge, La Chanson des quatre saisons.

YUAN Mu Zhi écrivit le scénario et réalisa à la Compagnie cinématographique Mingxing, à partir de l’œuvre Cristilinda de Monckton Hoffe, transposée au cinéma par la Fox dans le film incomplètement parlant Street Angel de 1928. En vérité, le cinéaste s’inspira partiellement de deux films réalisés par Frank Borzage : Seventh Heaven et Street Angel avec Janet Gaynor. Rappelons que la Mingxing produisit 192 films.
Notre œuvre bénéficie assurément d’une superbe interprétation. Pas indifférent que Xiao Hong se révéla l’un des anciens « vrais noms » de ZHOU Xuan, aux origines indéterminées. Contemplons la beauté de la débutante à l’écran ZHAO Huishen, éclatante lorsque son « père » la moleste. ZHAO Dan et WEI Heling, deux vedettes, continuèrent de jouer sous la RPC. ZHAO Dan, né ZHAO Feng’ao en 1915 dans la si belle Yangzhou au Jiangsu, décédé en 1980, obtint en 1957 la distinction de meilleur acteur de cinéma pour la période 1949-1955 à la faveur en particulier de sa prestation aux Corbeaux et moineaux de 1949. On le vit en 1934 : Destin de femmes.

Conjointement aux comédiens, Shanghai s’érige également en protagoniste à part entière. Thématiquement, le film pratique fréquemment le symbolisme. En rapport avec les liens directs unissant des films de ZHOU Xuan et la littérature, la symbolique associe celle-ci et le septième art. Tirons un exemple emblématique du décor de Ma Lu Tian Shi, au bureau de l’avocat lui-même situé au « gratte-ciel » : plongée par la baie sur les toits de Shanghai, minuscules. La tour comme allégorie d’élévation sociale, dont s’avéreront exclus les deux camarades cherchant une aide juridique à Xiao Hong.

L’une des scènes emblématiques concerne l’« effeuillage-défloraison » de la rose blanche que M. KOU empoigne, après le sourire naïf de fillette adressé par Xiao Hong à ce généreux truand qui lui offrit du beau tissu et un banquet. Même l’innocente comprend le symbole… Lorsque le coiffeur coupe les tresses de Xiao Hong, la diégèse expliquerait certes cette coupe par le désir de se cacher : mais on discerne aussi la symbolique forte relative au changement de statut, la jeune fille devenant la femme de Xiao Ping. Le meurtre final de Yun, originaire du Nord et exilée à Shanghai à cause de l’occupation japonaise, ne symbolise-t-il pas la nation violée par l’empire du Soleil-Levant ? Généralement, le film use allégoriquement de la prostitution tel un symptôme d’oppression. WU Yong Gang en fournit deux magnifiques archétypes : la Shen Nu de RUAN Ling Yu et Yanzhi Lei avec HU Die.

Néanmoins, Ma Lu Tian Shi évite les larmoiements et utilise commodément le « comique de répétition », éloigné du « politiquement correct » contemporain, raillant l’ami de ZHAO Dan handicapé qui éprouve des difficultés à s’exprimer. Le comique de répétition s’emploie à l’encontre de celui-ci, Xiao Ping le rabrouant perpétuellement : il faut se taire quand on ne sait pas causer. Nonobstant, le chômeur bègue se manifeste de bon conseil : par exemple, il trouva la photographie de la bande dans un journal.

Remarquons le personnage de Lao WANG, vendeur de journaux, interprété par WEI Heling, et surtout son appétence journalistique : ce compagnon précieux de CHEN Xiao Ping et entiché de Xiao Yun « colle-ctionne » aux murs des taudis les coupures de presse. De manière compulsive : WANG recommence à coller des feuilles sur les parois de son deuxième refuge. Au troisième et ultime appartement, le spectateur attentif verrait des journaux nouvellement collés…
« WANG le colporteur », à ne pas confondre avec le « violoniste WANG », exploiteur des sœurs et qui abusa sexuellement de l’aînée, représente la tolérance, spécialement à l’égard de la prostituée, et l’ouverture d’esprit, sa passion des quotidiens permettant de façon visuelle et fluide de situer le film, d’y introduire l’actualité de l’époque. « Scénaristiquement », la découverte de coupures sert souvent et habilement de ressort à l’intrigue. Ce que nous baptisons « décor scénaristique », typique, fonctionne en contexte : ainsi, lorsque Lao WANG lit « sortie massive de métal blanc vers l’étranger » afin d’intituler un tour de magie qu’affectionne Xiao Ping. Enfin, décelons une intertextualité : osons établir une relation cinématographique rapprochant les misérables « tapisseries de papier journal » chez Shen Nu réalisé par WU Yong Gang, avec l’inoubliable RUAN Ling Yu, déjà les affres subies par une « divine » prostituée, et celles de Ma Lu Tian Shi. La formule de Lao WANG justifiant ses journaux tapissant… « Ce vieux mur en ruine, je ne supporte pas de le voir. » Relevons assurément le travail du décorateur MA Shouhong.

Au total, Les Anges du boulevard réunissent des éléments fort divers, qu’il convient de ne pas caricaturer en interprétation univoque : comédie, film d’amour, « film musical », tragédie paroxystique, réalisme social. Si des critiques soulignent ce dernier, relevons la description réaliste des relations sentimentales : les deux héros « passionnés » passent précipitamment de l’amour à la haine, la séparation, ou plutôt leur déclaration. Exemplairement, les pleurs de Xiao Ping calmeront la colère de Xiao Hong. Pareillement, lorsque CHEN Xiao Ping s’aperçoit du « profit amoureux » qu’il tirera de sa fuite en compagnie de Xiao Hong, avec qui il vivra, il devient fou de joie. Quelque application du principe bouddhique Bu She Bu De : « pas de gain sans perte »… Au demeurant, l’œuvre, qui comporte nombre de touches sociales, s’avère précurseur du néoréalisme, bien avant les réalisations italiennes.

L’œuvre marie la légèreté et un drame s’insérant vite pour terminer en climax tragique. Cependant, le déroulement filmique ne vaut pas continuum : le comique de répétition entrecoupera constamment l’intrigue. La scène où le colporteur prête fort peu d’attention à ses acheteurs, attendant son camarade trompettiste défilant, provoque l’hilarité : l’acheteur quémande son journal… La misère ne larmoie pas : ZHAO Dan donne la boucle d’oreille du coiffeur comme bague de fiançailles à ZHOU Xuan.

Significativement, une charmante liberté de ton caractérise l’œuvre, se discerne par les différences des genres auxquels le film peut appartenir, à la hauteur du charme émanant de ZHOU Xuan… On assiste à de multiples et plaisants badinages. La symétrie, volontiers pratiquée à l’Empire du Milieu cinématographique, se traduit par la formation des deux couples : Xiao Hong et Xiao Ping, Xiao Yun et Lao WANG…

Les symétries s’organisent soigneusement : alors qu’au dénouement, après le coup de couteau blessant mortellement Xiao Yun, CHEN Xiao Ping la considère toujours telle une « grue », celui-ci, uniquement à l’extrême fin, donne à la prostituée le verre d’eau chaude, si chinoise, rempli par sa sœur, qu’il lui refusa auparavant. Méchamment, Xiao Ping jeta au sol la boisson de colère suite à la venue de la « grue ». Autres scènes symétriques : CHEN Xiao Ping demande deux ou trois fois pardon : à ZHOU Xuan, puis à Lao WANG, voire à Yun, ce qui vaut, à l’encontre d’une vedette arrogante et sûre de ses capacités séductrices, leçons d’humilité.

L’introduction de La Chanteuse des confins du ciel se révèle singulièrement audacieuse : ZHOU Xuan et ZHAO Dan entament en fredonnant a capella l’air des Confins, excitant l’attente de l’audience… Conjointement à certains messages d’obédience sociologique, sinon politique, n’oublions pas que l’objectif reste le divertissement, assumé par le réalisateur, avec une belle émotion.
Un « art du montage » se met en exergue. Le montage, qui éloigne des canons hollywoodiens, s’exprime de manière purement visuelle, à l’instar d’un « art pour l’art », et contribue à dynamiser l’intrigue. Dès le premier chant du film terminé, l’intrigue se noue : Xiao Hong, rapidement proie attirant des loups…
Il s’agit de La Chanson des quatre saisons de TIAN Han et HE Luding, sur laquelle ZHOU Xuan, certes chantant, ne cesse de jouer : elle boude, refait ses tresses, des insertions imagées illustrant le titre. Le spectacle partirait de la broderie d’oiseaux amoureux et aboutirait à la guerre, aux explosion(s), séquelles guerrières… « Mais où sont donc ses parents ? » Les images ornent le beau vers « Seul brille le clair de lune. » Hélas, chant éminemment diégétique : la beauté et la fraîcheur de l’interprète attirent la concupiscence des clients truands, de M. KOU en particulier.

L’analyste constate l’art consommé du « montage chinois », dès les images liminaires du film, le fabuleux générique, extrêmement dynamique, avec instruments à vent, trompettes. Stimulante présentation de Shanghai la nuit, les enseignes lumineuses se voyant exclusivement : White Horse, Monthly Drawing de la State Lottery Administration… Les spectateurs ne doivent absolument pas manquer le « générique plus que générique », véritables « exposé des motifs cinématographiques » et incarnation du « personnage d’une Shanghai verticalisante » : abondants mouvements liminaires de contre-plongée, particulièrement sur une emblématique tour. La scène initiale s’enclenche par une plongée qui se veut abyssale d’un haut bâtiment blanc vers les bas-fonds de Shanghai. Le dernier plan s’érige symétriquement : contre-plongée de ceux-ci vers le sommet du vaste et haut immeuble blanc.

Songeons à la technique du « montage parallèle » entre l’aînée, son visage torturé et la cadette qui saisit avec enjouement la cage à oiseau. Autre succession de scènes démontrant non seulement l’existence, mais l’ancienneté et la qualité du « montage chinois » : la marâtre frappant de sa baguette dit à sa « belle-fille » de se déshabiller afin d’obtenir l’aveu de l’endroit où sa cadette se cache. Yun commence à déboutonner sa robe : plan immédiatement suivi d’un plan sur une culotte qui tombe des jambes… de l’acolyte de M. KOU, à la « maison de bain et massage ». Quelle audace…

Conjointement au travail du monteur QIAN Xiaozhang, l’œuvre pratique ce que nous appelons l’art du cadrage et spécifiquement, à plusieurs reprises, ce que nous baptisons la technique du « cadre dans le cadre ». Effectivement, la communication sentimentale rapprochant Xiao Hong, chantant 天涯歌女, Tian Ya Ge Nü, La Chanteuse des confins du ciel, et CHEN Xiao Ping s’effectue à travers des fenêtres. Les baies se métamorphosent en scènes de spectacles… Le spectateur assiste même à un théâtre d’ombres avec le rideau tiré. Ces « ombres chinoises » incitent à penser en termes de discours métacinématographique : nos « ombres électriques » rappellent la genèse ou l’étymologie cinématographique, « sinon les figures à la silhouette »…

La caméra passe de la chanteuse dans sa chambre au musicien dans la sienne. Un plan de Yun l’aînée à la physionomie tourmentée, pleurant, accompagne la chanson parlant de larmes. Cependant, la diversité des réactions consolide son appartenance à la diégèse : Lao WANG, couché, se bouche les oreilles et se retourne sur son lit… Magnifique travail du chef-opérateur WU Yinxian à travers les ouvertures des deux habitations, de part et d’autre de la rue : à la fin de la mélodie, CHEN Xiao Ping tire le rideau, à travers les deux fenêtres on voit la sœur « gronder silencieusement » sa cadette.

L’humour et la dramatisation n’interdisent pas à une sociologie de témoigner. Lorsque le patron coiffeur de l’histoire s’aperçoit qu’on repeint la « signalétique » de la rue de la « Résidence de la tranquillité », il s’écrie que les loyers vont encore augmenter. Indubitablement, enseignement pérenne des finances (publiques) : la population subit le coût des dépenses (publiques)…

Au demeurant, l’œuvre évoque les relations des Occident et Orient, traditionalisme et modernisme. Dès le début, on découvre l’antinomie contrastant la procession de mariage, dotée d’un orchestre traditionnel et de « jazzmen », en tout cas d’une fanfare « à l’occidentale » : trompettes, tambours, musique à l’occidentale en tête, musique classique en Empire du Milieu forment un mélange bigarré, sinon concurrentiel… Le héros trompettiste porte en emblème son uniforme d’origine étrangère, sachant qu’il joue indifféremment de la trompette et du Er Hu, tradition de Chine. Relevons la fabuleuse scène où la propriétaire de la première chambre où loge CHEN Xiao Ping, mère de famille, tente de séduire celui-ci, qui « fait très soldat blanc », par des moyens fort directs, l’aguicheuse prenant l’initiative pour que l’homme l’embrasse de préférence à son bébé. Les traits de ZHAO Dan ne se manifestent certes pas typiquement Han. La qualification de « signaux sans fil » ou « télégramme » baptisant l’utilisation comme message de la lumière solaire et de sa réflexion, par le miroir de la charmante Xiao Hong, traduit aussi, humoristiquement, la rencontre de temporalités diverses dans une Shanghai à la croisée des mondes et des temps… Précisément, le Grand Monde représente un lieu de sortie(s) séduisant la bande d’amis : au demeurant, la sœur aînée, se prostituant pourtant, veut protéger la vertu de sa cadette en lui interdisant de s’y rendre. Néanmoins, les personnages, leur habitus restent chinois. Ainsi, le méchant « père » reproche à sa « fille adoptive », lui ramenant la cage à oiseau qu’il lui demanda de nettoyer, qu’on ne l’entend pas arriver : sitôt après, le violoniste WANG sort sa cage afin de comparer à d’autres…
Sur le plan du langage cinématographique, le cumul d’époques différentes s’illustre pareillement par la rareté ou davantage la sporadicité des dialogues, riche héritage du cinéma muet, qui favorise l’expressionnisme : Xiao Yun, au visage si expressif, héritière de Shen Nu. Songeons à la superbe scène muette où l’enjôleuse tente d’aguicher CHEN Xiao Ping, méprisant, Lao WANG offre ensuite une cigarette à la femme, qui ne s’intéresse pas à celui-ci. Cet enchaînement entre les comédiens aux sentiments contradictoires s’exprime fortement sur la physionomie de la belle, témoignant sans transition de la séduction et de la désespérance. En une perspective théorique, observons l’ouverture politico-culturelle du cinéma shanghaien : à travers une forte influence du cinéma muet, allusions à l’expressionnisme allemand d’un film chinois préfigurant le néoréalisme présumé italien.

Le talent, également musical, de ZHOU Xuan se définit particulièrement par la conjugaison de traditions et d’une modernité qui s’avère chinoise. « Proverbe » à Shanghai : la Chine, ce pays ancien, déjà moderne…
Soulignons que l’œuvre maîtrise les risques de lourdes difficultés liées aux répétitions : emblématiquement, 周璇 chante à deux reprises 天涯歌女, mais, grâce aux contextes opposés, les significations de ces scènes chantées divergent diamétralement. Alors que Lao WANG, fumeur, tente d’empêcher Xiao Ping de continuer à s’enivrer, celui-ci, trivial client, paye pour que Xiao Hong chante. Le rythme s’appesantit par rapport à la version originelle, distillant une autre humeur, voire presque une autre mélodie. Le film ose prématurément opérer un flash-back nostalgique sur lui-même, véritable boucle reprenant les images de l’interprétation initiale en duo du même titre, où les deux amoureux badinaient. Plutôt que chanson d’amour, la reprise de Tian Ya Ge Nü se transforme en une torture mentale chez ZHOU Xuan, forcée par ZHAO Dan, au comportement d’un quelconque consommateur ivre, de chanter à la « maison de thé ». « Exposé des motifs » démontrant qu’un son légèrement dissemblable surdétermine de « mêmes images ».

Ma Lu Tian Shi, à l’instar d’autres œuvres, (dé)montre que les réalisateurs des années trente et quarante intégrèrent et dépassèrent les conventions hollywoodiennes, l’objectif consistant à séduire un vaste public et à proposer des « messages », sans qu’il s’agisse de « surinterpréter » en inventant un film à thèse…

Restituons aux importantes œuvres créées à « l’âge d’or » leur portée proprement cinématographique au lieu de les soumettre à une visée unilatérale. Radicalement, caricaturalement, des critiques du film s’opposent : ou bien on y voit une croyance aux lendemains qui (dé)chanteront, ou bien le dénouement aboutirait à une impasse sociale, au désespoir. Caractère indécidable du commentaire « politisant » : l’épilogue vise de nouveau le « gratte-ciel », à l’instar du début, « le film boucle », guère d’espoir… Au total, l’appréciation de l’âge d’or du cinéma shanghaien nécessite un effort de nuance(s) et de « contextualisation », afin de ne pas l’assujettir aux caricatures.
L’essentiel : l’accomplissement artistique. Pareillement à nombre de films à cette époque, un contenu social se conjugue avec le (mélo)drame et le divertissement, le spectacle et surtout l’émotion. Résultat atteint : Les Anges du boulevard se montrèrent extrêmement populaires. L’ensemble des qualités relevées permettait de défendre les productions domestiques, sachant que les films hollywoodiens concurrençaient fortement…

YUAN Mu Zhi, né YUAN Jialai en 1909 et décédé en 1978, s’intéressa jeune au théâtre : l’acteur de théâtre à succès à Shanghai, surnommé « l’homme aux mille visages », intégra en 1934 le Studio de cinéma Diantong. Puis, ce scénariste-réalisateur-comédien rejoignit la célèbre Mingxing, où il écrivit et dirigea Les Anges… En 1946, il fonda et dirigea le Studio de cinéma Dongbei – du Nord-Est – qui devint le premier studio étatique de RPC. En 1949, YUAN Mu Zhi quitta celui-ci et dirigea le Bureau central du cinéma au ministère de la culture.
TIAN Han, parolier, œuvra comme auteur dramatique. Cette caractéristique illustre la relation forte mariant cinéma et littérature. Au demeurant, le réalisme social de l’œuvre se révèle d’obédience littéraire. Quant aux personnages, Xiao Hong semble incarner l’une des nombreuses et nouvelles Nora Helmer qu’on pourrait déceler au cinéma shanghaien. Henrik Ibsen et LU Xun s’uniraient… Les Anges du boulevard offrent un « tableau » où nous découvrons une évocation littéraire et jusqu’à une « scène de calligraphie ».


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